“Une poésie incantatoire”: à propos d’Orogénie de Gangotena
L’œuvre poétique française d’Alfredo Gangotena (1904-1944), Équatorien de Paris (puis exilé à Quito), a pu susciter en son temps quelques recensions majeures, signées par Jean Cassou, Georges Pillement ou l’ami Henri Michaux, entre autres, à propos des recueils Orogénie (1928) et Absence (1932). Des textes à retrouver dans le «Dossier» de notre édition d’Orogénie et autres poèmes français, établie et préfacée par Émilien Sermier.
Mais Orogénie, annoncé depuis 1925 dans la collection «Une œuvre, un portrait» des Éditions de la N.R.F. — s’il vous plaît —, et finalement imprimé en mars 1928 pour arriver dans les librairies en juillet, ne pouvait manquer d’être chroniqué dans une petite revue comme Zarathoustra, aux vues mystiques et spiritualistes proches de Gangotena — une avant-garde oubliée au sein des avant-gardes les plus notoires:
Notes critiques
par
Jean Audard
[extrait]
Orogénie, d’Alfredo Gangotena (Nouvelle Revue Française).
Pour certains d’entre nous la poésie dans sa forme poétique, j’entends littéraire, ne saurait être qu’incantatoire. Une mythologie abstraite aux reflets de velours comme ceux du lourd hydragyre, impalpable comme l’or alchimique qui bout dans les creusets, blanche comme la solitude des sépulcres et des aurores, gît latente au fond des joyaux et des pierreries. Voici que se lève du fond des âges, venue d’une forêt cendrée par le clair de lune, une voix de chevalier du temps du Saint-Graal.
« Allez, ô mes paupières, barques folles, allez chavirer incessamment.
Allez de même parmi les glas des naufragés tisser vos rideaux d’argent. »
Héraldique comme la tour mallarméenne, puissante comme l’orgue aux tuyaux pluriels de Paul Claudel (mais plus pure) ce n’est pas tant à ces deux poètes que fait songer cette chimique poétique qu’au métaphysicien d’Ars Magna, O. W. Milosz. Le blason et le calendrier mystique, le féodal archaïsme et le vocabulaire des livres antiques de la Bible entremêlent leurs langues dans ces poèmes que traversent les vibrations sibyllines des forêts, du vent dans les solitudes de la nuit et de l’azur où frissonne un vol de flammes. Et toujours chaque méditation poussée dans la blême ténèbre aboutit à l’amertume des ronces et au regret de l’Éden.
«Donnez-moi, je vous prie, ô brises, d’entendre la pastorale du sucre dans l’écorce de ces tiges si tendres.»
Revenu des provinces éoliennes, le poète ne trouve qu’un Décembre placé sous le signe de l’étoile du silence, tourmenté par l’ouragan lunaire. Il se torture du désir de la fixité de l’amour — et le dernier poème —, vous voyez par quelle trop facile raison — est dédié au chrétien Julien Lanoé.
Sous le masque verbal — peut-être trop complexe pour ne pas être précieux de ces orfèvreries gongoriennes, Gangotena nous signifie sa nostalgie intime de la simplicité des Cieux. Son message comme celui de tous les poètes se souvient des royaumes éternels des Thulés de la mort.
Zarathoustra (Revue de l’activité de l’esprit), n° 1,
Paris, janvier 1929, p. 15-16.
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