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“Un chef-d’œuvre d’incompréhensibilité”: Gangotena au courrier des lectrices

L’œuvre poétique française d’Alfredo Gangotena (1904-1944), Équatorien de Paris (puis exilé à Quito), a pu susciter en son temps quelques recensions majeures, signées par Jean Cassou, Georges Pillement ou l’ami Henri Michaux, entre autres, à propos des recueils Orogénie (1928) et Absence (1932). Des textes à retrouver dans le «Dossier» de notre édition d’Orogénie et autres poèmes français, établie et préfacée par Émilien Sermier.

Mais les poèmes que Gangotena donna à partir de 1923 dans diverses revues françaises (et belges), et tandis qu’il recevait les éloges épistolaires de Supervielle, Max Jacob ou Jean Cocteau, par exemple, firent aussi l’objet, du côté d’une critique plus facilement effarouchée, d’échos plus marginaux et parfois tout à fait cocasses.

Ainsi du poème «Départ» (paru dans Philosophies, n°3, Paris, 15 septembre 1924), qui se trouva moqué dans un ancêtre de TikTok: le courrier des lectrices d’une revue de mode parisienne. Voici le billet en question, un chef-d’œuvre de critique littéraire «tant par le fond que par la forme»…


La ruche

[extrait]

 

G 7821. — Altaïr. Je connais Ricardo Vines ! C’est un artiste prodigieux et un travailleur infatigable. Un des rares qui aiment la musique pour elle-même et non pour la gloire qu’elle dispense ; il l’aime et il la sert, tranquillement, inlassablement. — Le Froid me chasse. Si vous parlez de Parsifal, vous allez ramener ici bien des discussions. C’est une œuvre parfaite, tant par le fond que par la forme. Je n’aime pas beaucoup Wagner, il est, parfois, un peu indigeste. — Voyez-vous, Tanagra, la gloire a fait le plus grand tort à Faust, on l’a arrangé, retourné de trente-six mille façons pour tous les instruments et entendu le plus souvent très mal. Ajoutez à cela que quelques pages ont terriblement vieilli. On en a la nausée ! — Jean-Ry. Jules Romains parle aussi de nous dans une nouvelle parue dans Candide. — Pour les Abeilles que la poésie intéresse, j’ai relevé quelques passages d’un poète de la nouvelle génération littéraire. D’une pièce intitulée Départ :


Torrent, penche-toi

Et débite ta confidence ;

Source d’échos,

Remplis mes oreilles

— Bouillon dans la soupière —

Jusques aux bords,

De tes murmures.

Avent : Arrête les bielles les jantes de ton œil,

Mouche dactylographe de mon sommeil.

Égarées, mes jambes braquent les portes de l’Atlas.

Le glapissement des crécelles fait s’abattre la dalle.

Dans mon ventre craque la machine pneumatique de l’Avent.

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Il y en a une dizaine de pages sur ce ton, signées Gangotena. — Bettina, Vampire, Mouette, Manolita, Le Coffret et toutes les Abeilles, que pensez-vous de ce chef-d’œuvre d’absurdité, d’incompréhensibilité. Mes sœurs, où allons-nous ?


Abeille… sans miel.

 

Les modes de la femme de France, n° 510,

Paris, 15 février 1925, p. 5 et 7.

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