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Nouvelle défense de Huidobro

Le remarquable article de Nicolas Beauduin n’étant pas passé inaperçu (en Belgique du moins), le codirecteur de La Bataille littéraire se fendit d’une nouvelle défense de la « poésie nouvelle », et de Huidobro en particulier. Contre-chronique :

 

Poètes et revues

[extrait]

par Désiré Joseph Debouck

 

Dans une des dernières chroniques du Thyrse, un plaisantin qui ne rate aucune occasion de prendre son nez pour ses fesses, endossait à notre ami Vicente Huidobro la paternité d’un fragment d’essai phonétique dû à Pierre Chapka-Bonnière. Il est vrai qu’au Thyrse, revue sévère, pourvu qu’on rie le reste n’a pas d’importance. (1)

Pour nous de telles confusions où l’on mêle toutes les écoles nouvelles pour n’en distinguer aucune, nous paraissent nées d’un misérable entendement. M. Chapka-Bonnière, de l’école « sémantique », n’a rien de commun avec M. Cocteau, dadaïste dissident mais toujours obscur, si j’en juge par ce rébus que nous offre Poesia :

 

« Le cœur une éponge avalée

effacera la craie du coq.

La crête en ardoise salée

l’océan y jette ses bocks » ?

 

De même, M. Vicente Huidobro est bien à part de tant d’aimables fumistes et son art, où il s’efforce à un continuel renouvellement, s’affirme sincère et volontaire. Pour avoir au cours d’une conférence à des artistes hispano-américains déclaré que le mot d’ordre du poète doit être : « Créer, créer et encore créer », Huidobro fut proclamé chef du « Créationnisme ». Et voilà !

Huidobro n’a rien en grippe comme la discipline naturaliste de la soumission à l’objet ; le réalisme lui fait horreur. À quoi bon, pense-t-il, refaire avec des mots les décors, les lumières, les jours et les nuits au milieu desquels nous vivons ? Son ambition va jusqu’à l’impossible. Il vise si haut qu’il n’atteint pas toujours son but ; mais son effort est déjà de la beauté.

Quand l’homme inventa la roue, qui devait remplacer sa jambe et son pied, il ne construisit pas un instrument qui copiât ses membres : il créa un objet tout différent de lui, qui accomplissait cependant une tâche étudiée sur lui-même. À présent l’auto ne rappelle en rien les minerais d’où l’on tire son acier, son nickel et son cuivre, l’arbre d’où sort sa carrosserie, les branches à gomme d’où jaillit le caoutchouc de ses pneus. Ce que le savant et l’ingénieur font chaque jour : dompter, assouplir et transformer la matière, voilà l’œuvre du poète qui se veut vraiment moderne — en se souvenant de l’étymologie de son nom.

Nous ne discuterons pas aujourd’hui cette théorie séduisante, dont nous apercevons trop vite le bout : c’est qu’il n’y a pas que la matière tangible sur laquelle le poète ou l’artiste travaille ; une autre, pour insaisissable qu’elle soit, est en lui, pénétrée de vieux frissons : matière humaine misérable et souffrante, qui, depuis tous les siècles n’a guère changé ; et ce serait mentir à soi-même dans une œuvre factice pour les autres que de la vouloir créer différente, en dehors des limites où elle naît, souffre et meurt.

Cela dit, il n’est pas difficile de définir l’art de Vicente Huidobro ; sa poésie est toute lyrique et subjective, projetée dans les choses qu’elle déforme alentour. Il y a comme une fièvre continuelle dans l’inspiration du poète. Nicolas Beauduin, en en dissertant ici même, nommait une de ses principales originalités celle qui le porte à « rendre ce qui n’existe pas. » « Pour Huidobro, écrivait Beauduin, la poésie dans son essence la plus haute, c’est ce qui n’a pas de réalité vraie ». Philosophiquement, voilà un postulatum impossible.

Quand le poète écrit :

 

« Un homme saute dans le soleil ».

 

ou :


« La lumière en sortant de sa tête

ne se répand pas

en lignes droites ».

 

ne pose-t-il pas simplement quelques métaphores audacieuses dont les raccourcis tendent souvent vers une forme classique ?

Huidobro nous a d’ailleurs affirmé sa prédilection pour les classiques.

Aussi peut-il écrire :

 

La résignation courbée

regarde le sol

qui se dérobe

 

ou :

 

La chanson qui monte

est devenue une étoile

 

ou encore, en parlant de la Tour Eiffel :

 

Le géant pendu au milieu du vide

est l’affiche de France.

 

Mais voici de ce poète inquiétant, auquel M. Bergson lui-même porte de l’intérêt, une page qui pour être très courte n’en est pas moins bien caractéristique de sa manière :

 

Chanson

 

Quelqu’un

que tu n’es pas

chantait derrière le mur.

 

Le miroir

dédoublait la voix

et des étoiles naufragées

dormaient sur tes seins.

QUI ES-TU ?

La voix qui a répondu

venait de plus loin que ta poitrine.

 

La Bataille littéraire, 2e année, n°9,

Bruxelles, novembre 1920, p. 197-199.

 

 

(1) Note de l’Éditeur : De la chronique incriminée, voici un fragment :

 

Les revues de juin

[extrait]

par Camille Mathy

 

[…]

Tzara ! La Place de grève, avec son habituel esprit caustique, nous apprend qui il est :

 

Jou souis Rouming ; alors, pendant l’gouerre, j’ai-z-été toute temps en Souisse.

 

Je ne sais si je l’ai lu ou si je l’ai rêvé ; mais M. Tzara serait aussi le chef de l’école dadaïste. C’est une situation en vue, l’école dadaïste étant, je crois, appelée à de hautes destinées ; et cela, en raison de ce fait que c’est une école où il n’est pas nécessaire de connaître la langue française pour s’y distinguer. Jugez : voici un poême dadaïste : je l’extrais de la luxueuse revue Poesia et c’est Marinetti lui-même qui l’a signé ; et cela est intitulé « Dunes ».

 

[Transcription.]

 

Quand j’écris que c’est un poème dadaïste, je fais peut-être injure à M. Marinetti qui est, nul ne l’ignore, le chef d’une autre école, l’école futuriste ; et le poème en question n’est peut-être qu’un simple poème futuriste.

Car il paraît bien qu’il n’est pas de la même nuance que le suivant, qui est purement dadaïste, comme nous l’assure M. Nicolas Beauduin, au cours d’une étude qu’il consacre dans la Bataille littéraire, à M. Vincent Huidobro :

 

Ildrick mitzdonja astatooch

Ninj iffe kniek

Arr Karr

Arr

Arrkarr

 

Il y a, comme on va le voir, de la marge entre le lyrisme de M. Huidobro et celui de Mme Lucie Delarue-Mardrus chez qui la gloire de la Belgique a provoqué des transports que la Renaissance d’Occident, la belle revue de M. Gauchez, a recueillis soigneusement :

 

Mais après le grand cri de rage,

Mais après le grand cri de peur,

Va, race pleine de courage,

Tu retrouveras ton bonheur.

 

Ces vers ont un agrément : ils peuvent se chanter avantageusement sur l’air de la Brabançonne.

[…]

 

Le Thyrse et les Chants de l’aube (Revue d’art et de littérature), 4e série, 22e année, no 16,

Bruxelles, 15 août 1922, p.316-320 (extrait tiré des p.316-317).

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