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“Il préfèrerait qu’on ne parlât pas de lui”: sur les débuts de Gangotena (3)

  • Photo du rédacteur: antoinechareyre4
    antoinechareyre4
  • 8 déc. 2024
  • 2 min de lecture

Courant 1924, amitiés et admirations se multipliaient autour d’Alfredo Gangotena qui venait de faire connaître ses tout premiers poèmes français en revue : Supervielle, Pierre André-May, Max Jacob, Larbaud, Cocteau, Pierre Morhange, Michaux… Parmi ces rencontres et relations épistolaires : Jacques Viot (1898-1973), un jeune Nantais qui venait cette année-là d’abandonner un début de carrière dans le commerce pour vivre à Paris, en poète (il rejoignit le groupe surréaliste en 1925).

Au printemps 1924, un Max Jacob en était déjà à agiter des noms d’éditeurs pour un futur recueil, mais somme toute Gangotena n’avait encore publié qu’une poignée de poèmes, quoique non des moindres (trois dans Intentions en décembre 1923, un dans la Revue de l’Amérique latine en mars 1924, et quatre dans Philosophies en mai 1924) — lorsque dans le Journal littéraire récemment fondé par Pierre Lévy, Viot fit paraître cette note, illustrée par le tout premier portrait public de Gangotena :

 

Un poète

par Jacques Viot

 

Alfred Gangotena est né à 3.000 mètres d’altitude, à Quito, dans le pays le plus sauvage du monde et où la terre se gonfle le plus : l’Équateur. Que tant d’outrances aient présidé à sa naissance, à le voir, ce tout jeune homme de 19 ans, mince et d’un charme si fin, on en douterait.

C’est un élève appliqué qui s’en vint subir son baccalauréat à la Sorbonne et qui passe actuellement l’oral de l’École des Mines où il est admissible. Il est un peu timide, et si poli, si discret, qu’il préfèrerait qu’on ne parlât pas de lui. Mais il le mérite trop pour qu’on lui obéisse.

Toute la grandeur et tout le tragique qu’il ne montre pas, il l’a caché dans ses poèmes. Il lève ses jeunes paumes : elles sont moites de toute l’angoisse de vivre. Il se hisse aux pentes roides du ciel, et si haut il va recueillir ses images, qu’un autre que lui s’y briserait. Il a des équilibres qui font trembler, mais son audace l’affermit et il monte où il veut. Il sème ses fleurs qui poussent tout soudain. Il en fait un bouquet mal noué qu’il lance.

Recueillez-les. Elles ont l’odeur de ses montagnes sauvages et, parmi, quelques-unes sont douces comme le matin.

 

Le Journal littéraire, n°10,

Paris, 28 juin 1924, « Courrier littéraire », p. 11.

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